La guerre du Liban,- par Ferhat Mehenni
samedi 19 août 2006, par Mohand IMAZATENE
Pour, entre autres, se substituer au fragile Etat libanais, tester la vigilance d’Israël et sa capacité de riposte ou tout au moins faire condamner « l’entité sioniste » par l’opinion internationale, pour faire diversion sur des régimes en difficulté au plan international mais qui le sponsorisent, le Hezbollah a commis des actes belliqueux, à partir du Liban, contre « l’ennemi sioniste ». Il s’en est suivi, du 12 juillet au 14 août 2006, une guerre atroce dont, heureusement un cessez-le-feu vient d’être conclu sur pression des Nations Unies. Il faut souhaiter qu’une paix définitive puisse s’établir le plus tôt possible dans cette partie du monde. Nous revenons sur ce conflit après ce silence des armes, hélas encore fragile. Quels en sont les facteurs nouveaux ? Quelle a été l’attitude des pays arabes et quelles en sont les conclusions non pas pour le Liban et le Moyen Orient, mais pour nous, l’Algérie et le monde.
La nouveauté dans la conduite de la guerre, aujourd’hui, est l’apparition de deux facteurs qui, jusqu’à un certain degré, influent sur l’issue des combats : L’opinion et la géopolitique. La prise en compte de la force des médias, des images qu’ils diffusent, d’une part et de l’environnement international d’autre part, est une nécessité pour les stratèges et les état- majors. Leur négligence par l’une des parties au conflit peut s’avérer désastreuse sur le but recherché. Il en est ainsi de ce qui s’est passé pendant plus d’un mois au Moyen-Orient où le Liban a été de nouveau le théâtre d’une guerre dont les civils, particulièrement des femmes et des enfants, ont fait chaque jour les frais. Les images insoutenables qu’en ont diffusées en temps réel des télévisions friandes de films d’horreur ne pouvaient laisser indifférents ceux qui les voyaient. La conscience humaine, qui en est salutairement heurtée et révoltée, n’accepte pas ces carnages incessants que provoquait le déluge de feu s’abattant sur le Sud du Liban et le Nord d’Israël. Seule la logique de guerre y restait insensible.
On le sait maintenant : une guerre qui ne trouble pas l’opinion finit souvent par dépérir d’elle-même. Le conflit entre l’Irak et l’Iran, on s’en souvient, s’était éteint de guerre lasse après avoir, huit années durant (1980-1988), lamentablement échoué à émouvoir et à mobiliser l’opinion internationale. L’opinion est devenue un enjeu important pour les belligérants. Elle est une sorte de renforts de troupes qui ne se dépêchent pas sur le théâtre des opérations mais qui, composée de téléspectateurs, d’auditeurs de radio ou de lecteurs de journaux et magazines, commence à influer sérieusement sur l’issue des conflits à travers les cris d’indignation qu’elle fait entendre de plus en plus fort des quatre coins de la Terre. Ainsi, en cette ère de la mondialisation et du multimédia, la communication fait plus que jamais partie de la guerre. Communiquer c’est faire de la propagande, c’est-à-dire désinformer, mentir, travestir les faits. Lorsque l’image vient conforter votre message, vous faites mouche à coup sûr. On en déduit que, présentées d’une certaines façon, les larmes sont des armes. Redoutables. Par l’entremise de l’image, elles transforment une victoire militaire en une défaite politique en montrant les pertes humaines et les destructions que l’ennemi a dû commettre pour en sortir gagnant. La guerre est une horreur absolue. Il n’y en a pas de propre. De nos jours, le vainqueur est toujours passible du Tribunal Pénal International (TPI). Et, dans l’affaire du Liban, le Hezbollah, défait militairement, est quand même arrivé à ses fins en amenant Israël à frapper là où les dégâts collatéraux sont ahurissants : les bâtiments habités à partir desquels les miliciens islamistes tiraient leurs roquettes contre les villes « ennemies ». Israël a, dès son engagement, gagné la guerre sur le plan militaire mais il l’a perdue sur le plan politique à cause du peu de soin qu’il a porté à la gestion de son image et du peu d’intérêt qu’il a accordé à son environnement international.
Les rapports de forces entre puissances étrangères induisent toujours des interférences sur le moindre conflit éclatant çà et là à travers la planète. Depuis que la division binaire du monde selon Yalta est reléguée au musée de l’Histoire, les déséquilibres actuels, issus de la chute du Mur de Berlin, révolutionnent les relations internationales. Les velléités d’une Europe candidate à l’occupation de la place de l’ex-Bloc de l’Est, face aux Etats-Unis, a amené la majorité de ses pays à une position plus favorable aux Arabes contre Israël. Loin de nous l’idée de le lui reprocher, elle défend ce qu’elle pense être ses intérêts du moment. Nous constatons juste que pour notre malheur, et nous pensons pour celui des Européens également, elle donne de la voix au Hezbollah que l’on n’hésite plus à présenter comme « La résistance libanaise ». Au lieu de lui faire endosser au moins une part responsabilité dans le malheur et la destruction de son pays à travers les actes de provocation dont il s’était rendu coupable et par lesquels il a déclenché la violente réaction d’Israël, on est en train d’en faire le futur dictateur du pays. Au lieu de le démasquer comme l’un des pions, avec le Hamas palestinien, d’une nébuleuse internationale terroriste islamiste, on est en train de lui conférer une respectabilité internationale qu’il ne manquera pas de retourner demain contre ses soutiens d’aujourd’hui en Europe, l’Occident et tout ce qui ne sera pas chiite. Continuer à en faire le symbole d’une résistance nationale contre l’occupation israélienne, c’est disqualifier ipso facto toutes les autres forces politiques libanaises à postuler, demain, à la moindre légitimité à gérer leur pays. Tous ceux qui entretiennent l’amalgame entre peuple libanais et Hezbollah contribuent, consciemment ou non, à piéger l’avenir de la paix et de la démocratie non seulement au Liban, au proche Orient mais, aussi, en Afrique du Nord, en Europe même et à travers le monde entier.
Par ailleurs, concernant ce conflit, il me semble qu’il a fait l’objet d’une surmédiatisation, d’une médiatisation disproportionnée par rapport à son ampleur. Bien entendu, si cela n’obéissait qu’à des considérations strictement morales, nous nous en réjouirions. Chaque vie épargnée est une victoire de la raison et de l’Humanité sur la cruauté et la bestialité. Il fallait que cette barbarie au Liban cesse au plus vite, mais il y avait et il y a toujours lieu de mobiliser aussi par l’entremise de ces mêmes médias cette même opinion internationale pour arrêter les violences au Sri Lanka, en Côte d’Ivoire, en Somalie, en Irak, en Afghanistan…. D’un autre côté, il ne faudrait pas que cet arrêt des hostilités au Liban ne soit qu’une trêve qui serait mise à profit par les islamistes pour compromette un peu plus, et pour longtemps encore, toute solution définitive sur cette terre trop martyrisée, trop brûlée, cette terre qui, peut-être plus que toute autre au monde, a besoin de paix, de réconciliation et d’amour. Il faut en extirper les germes de la haine et du racisme. La résolution 1701 des Nations Unies devrait être mise en application en aidant l’Etat libanais à se réapproprier le monopole des armes sur son territoire.
L’Occident aurait tort de ne considérer, à l’instar de l’Amérique à l’étranger, que ses intérêts à la place de ses valeurs. Personne ne semble avoir tiré toutes les leçons du 11 septembre 2001. Pourquoi n’a-t-il pas mobilisé et ne mobilise-t-il toujours pas, comme il le fait pour le Liban, son opinion pour le Darfour où des centaines de milliers de personnes ont été tuées et continuent de l’être et où des millions d’autres ont été déplacées par les milices se réclamant de l’arabisme et de l’islamisme ? Doit-on fermer les yeux devant des massacres et des exactions commises par des communautés ou des institutions dès lors qu’elles sont arabes et/ou musulmanes ? A-t-on le droit d’opprimer, de réprimer des peuples et de violer tous les droits humains dès lors qu’on se réclame de l’arabisme ou de l’islamisme comme c’est le cas en Algérie par rapport à la Kabylie ? Les victimes des violences politiques ne seraient-elles pas égales, n’auraient-elles pas le même statut selon qu’elles sont d’une origine ou d’une autre ? N’y a-t-il pas danger de racisme humanitaire ?
La réaction des pays arabes au drame libanais a versé dans le délire médiatique ant-israélien. Il est inutile de dire qu’il a toujours observé un silence coupable lorsqu’il s’est agi de la Kabylie. Les télévisions officielles et privées ont matraqué, et continuent toujours de le faire, leur opinion à longueur de journées avec des images insoutenables enrobées de discours haineux contre l’Etat hébreu. D’ailleurs les 3500 roquettes tirées par « la résistance libanaise », autrement dit le Hezbollah, ont toutes été présentées comme autant de victoires et de hauts faits d’armes du mouvement chiite qui a déjà rongé et liquéfié l’Etat libanais. Leurs pauvres victimes civiles comme une bénédiction de Dieu. On attise la haine du Juif au Proche Orient et on récolte dans « le monde arabo-musulman » des vocations de Kamikazes prêts à se faire exploser, n’importe où dans le monde, pour la cause d’Allah y compris contre leur propre patrie et contre leurs co-religionnaires, leurs frères de religion. Pourquoi, les sunnites d’Irak assassinant, chaque mois depuis trois ans, deux mille chiites ou Kurdes en moyenne, ne révoltent-ils personne dans les pays arabes ? Massacrer d’autres Arabes parce qu’ils sont chiites, d’autres musulmans parce qu’ils sont kurdes serait de la « résistance » comme toutes ces télévisions les présentent généralement ?
En Algérie, pays qui se considère parmi ceux dits « arabes » le discours officiel et les médias publics participent tous d’une entreprise de mobilisation en faveur des soldats du Hezbollah en tant qu’incarnation de la résistance nationale libanaise contre « l’ennemi » et « l’agresseur » sioniste. Les dirigeants algériens feignent-ils d’ignorer qu’en incitant le citoyen à la haine contre l’ennemi israélien, ils sont en train d’encourager la « résistance » islamiste contre l’Etat algérien lui-même et la société toute entière ? Les 3500 terroristes libérés depuis quelques mois pour cause de « réconciliation nationale » décrétée en dépit du Droit et du bon sens, vont-ils se contenter de se tourner les pouces devant ces discours ? Ces terroristes élargis ne sont-ils pas en train d’être confortés dans leur conviction que seule la violence paie ? Ne sont-ils pas renforcés dans leur foi en la victoire prochaine du règne d’Allah sur terre, de la mise sur pied d’un Califat arabo-islamiste régi par la charia sur toute l’étendue des pays musulmans actuels dont les frontières vont être abolies et les identités fondues dans la « oumma islamique » ? En tous les cas, dans notre pays, la solidarité au nom de l’Islam et de l’arabisme est en train d’opérer. Même le FFS, en Kabylie, en semble gagné. Ses élus régionaux, plus royalistes que le roi, viennent même de voter, à Vgayet, une aide de 7 millions de dinars pour le Liban, ce qu’ils n’ont pas fait pour les victimes du « printemps noir » de Kabylie. Curieusement, seules ces assemblées kabyles auraient été « discrètement sollicitées » pour prendre position sur la guerre du Liban afin de les médiatiser. Qu’Oran et Constantine condamnent Israël n’intéresserait personne en haut lieu. La voix de la Kabylie est, apparemment, si forte à l’étranger que le régime la recherche désespérément pour son image de marque à l’extérieur du pays. Nous nous demandons toujours pourquoi, chez les Algériens, cette solidarité si prompte à se manifester dès qu’il s’agit des Arabes et du Moyen-Orient, est si inexistante lorsqu’il s’agit des malheurs qui touchent la Kabylie et son peuple ? Pire ! A chacun des drames de notre région, il y a comme une jubilation mal contenue çà et là, sur le territoire national. Il n’y a qu’à voir les réactions de Louiza Haboune qui vomit tout ce qui est kabyle, de feu Nahnah ou de son successeur, de Belkhadem ou d’artistes sur scènes dont, par mépris, nous taisons le nom… D’un autre côté nous nous étonnons chaque jour de la manière dont, en matière de morale, les donneurs de leçons s’assoient chaque soir sur les principes qu’ils énoncent le matin, particulièrement chez les acteurs politiques occidentaux. N’est-il pas venu le temps de se pencher, avant tout sur les conflits armés existants pour les régler mais aussi d’envisager des solutions politiques à tous ceux qui risqueraient d’éclater ? Il faut le dire ! La colonisation, puis la décolonisation de l’Afrique et de l’Asie nous ont légué un monde d’injustices et de déséquilibres épouvantables. Elles ont fait de ces deux continents une poudrière dont, aujourd’hui, personne ne peut empêcher les explosions. Maintenir en l’état, par des artifices, le monde anciennement colonisé reviendrait à léguer, à notre tour, aux générations futures des conflits capables d’anéantir jusqu’à l’espèce humaine. La tutelle internationale qu’exercent encore les ex-métropoles sur leurs anciennes colonies ne participe en aucune façon d’une démarche de paix, de prospérité entre les peuples qui sont ainsi sacrifiés sur l’autel de la logique des Etats en place et de la géopolitique. La Ministre française de la défense, répondant le 13 juillet 2006 sur une radio parisienne à un journaliste lui demandant « pourquoi n’envisage-t-on pas de solution fédérale pour le conflit qui sévit en Côte d’Ivoire ? » répondit, je cite de mémoire : « Vous vous rendez compte de ce que cela risquerait de provoquer ? Toute l’Afrique est candidate à des solutions de cette nature ! » Ne vaut-il pas mieux, Madame Alliot-Marie, pour l’Afrique d’être candidate aux solutions fédérales et d’autonomies régionales à la place de celles du génocide rwandais et des guerres civiles au Tchad, en Somalie, en Côte d’Ivoire, au Cachemire… ? En tous les cas, la Kabylie souhaiterait une solution politique à tous ces drames et, pour ne pas revivre le sien, elle exprime son aspiration à disposer de son autonomie régionale et de la reconnaissance de son peuple.
La guerre du Liban dont le destin vient d’être scellé par l’action israélienne et les négociations menées par les USA et la France à l’ONU marque une nouvelle étape de l’évolution des relations internationales dans le cadre d’une mondialisation qui se fait au forceps. Le monde est à refaire dans tout ce qui a été l’espace colonial des 19e et 20e siècles. Et si l’on n’y prend garde, des images comme celles qui nous sont parvenues du Liban, vont nous arriver de ces deux continents, de plus en plus massives, de plus en plus violentes et barbares. L’opinion, elle aussi, devrait apprendre à distinguer le grain de l’ivraie sinon, avec les déchaînements des passions que l’information et ses images diffusent de plus en plus en temps réel, bonjour les dégâts !
Kabylie le 15/08/06
Ferhat Mehenni
source:
http://www.kabyle.com